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C'est un roc, c'est un pic,

c'est une pyramide !

Thibault Lafargue

Critique / Architecture

02.05.2014

Inaugurée le 30 mars 1989 par François Mitterrand, la pyramide du Louvre est aujourd’hui considérée comme l’un des monuments les plus prisés de Paris. Fort de son succès triomphant, elle n’en demeure pas moins à l’origine de dissensions et de fantasmes ayant largement contribué à en faire une corniche rutilante, autour de laquelle graviterait le sceau du mal. Et si, en plein cœur de la cour Napoléon, se dissimulait un pouvoir satanique ?

 

" 666 ", tel serait, à en croire la rumeur, le nombre de plaques de verre composant l’édifice. Sujet à débat, cette hypothèse maintes fois démentie n’a cessé d’être réactualisée au cours de ces dernières années, notamment depuis la parution du livre de Dominique Setzepfandt, François Mitterrand, grand architecte de l’Univers (1995). L’œuvre du sino-américain Ieoh Ming Pei y est ici associé à un point de ralliement pour tout adepte de l’occultisme. Parmi le bain bouillonnant de déclarations, témoignages et autres ressentis, comment différencier le bon grain de l’ivraie ? La chose est-elle seulement possible ?

Si le Mal a bel et bien élu domicile sous ce rocher de cristal, autant lui reconnaître un goût prononcé pour tout ce qui a trait à la lumière. Car cette pyramide est avant tout traversée par elle. Tantôt poli par les rayons du soleil, tantôt nuancé par la grisaille du matin, le furoncle de Paris se distingue par une aura faite de grâce et d’éclat. Son faîte, culminant à quelque 22 mètres de hauteur, connote une idée de grandeur. Un simple coup d’œil suffit pour y déceler la majesté d’une Egypte ancienne, reconfigurée aux valeurs d’une société moins encline à côtoyer la rugosité du sable que le miroitement du verre. Et c’est dans cet amour du reflet, du scintillement presque timoré, que la cité de l’amour retrouve toutes ses lumières. Le regard est alors fasciné, il cherche, furète, explore chaque fragment, chaque losange dans un perpétuel souci d’émerveillement. Paris, ramenée à une matrice toute cristalline, offre pour la première fois une introspection intime de ce que peut être une œuvre d’art moderne.

 

Une modernité qui tombe à " pic " 

Noyée dans un labyrinthe farci de classicisme, de vieilleries poussiéreuses et d’austérité frôlant l’intolérance, cet éperon de verre, décomplexé au possible, se veut une rupture tant artistique que culturelle. La démarche est louable, le résultat douteux. Car autant, pris indépendamment de son contexte, l’édifice est une ode à la lumière et aux rêveries fugaces, mais une fois associé à l’archaïsme de la pierre, le verre détone. Entre affront délibéré et mauvais goût inexcusable, le projet de " Mitteramses " défit toute logique. Certes, le parti pris est assumé mais en vaut-il réellement la peine ? Le patrimoine européen méritait-il d’être défiguré par une telle pustule, toute étincelante soit-elle ? Cet " assassinat de l’art et de la culture ", en plein cœur d’un lieu devenu saint, a quelque chose de malfaisant. Les adeptes de Dominique Setzepfandt doivent probablement rire sous cape…Comme toute œuvre moderne, celle-ci demande une certaine réflexion. L’œil doit s’y accoutumer en même temps que l’esprit. Avec le recul, la vision produite par la pyramide fluctue, s’estompe, puis réapparait. L’objet est à la fois semblable et différent. Il vient d’épouser son environnement. Pour apprécier les charmes de cette dame de verre à leur juste valeur, il faut l’appréhender comme un carrefour à la jonction de deux âges, l’ancien et le nouveau. Telle est sa force : réconcilier les époques pour réconcilier les mentalités. Encore faut-il ne pas être trop étriqué…Si l’appendice de Cyrano de Bergerac a provoqué un tel engouement du personnage chez les lecteurs/ spectateurs du XIXème siècle à aujourd’hui, pourquoi la pyramide du Louvre, véritable péninsule du musée, ne pourrait-elle pas prétendre accéder aux mêmes grâces ? En cela, la modernité rejoindrait une forme de classicisme en donnant naissance à un style pure.

 

La " pyramide " des Hommes

En plus de faire écho à l’une des campagnes les plus illustres du petit Caporal, ce monument à contre-emploi participe d’une volonté de renouvellement. Débouchant sur un hall souterrain qu’elle ne manque pas d’illuminer, la pyramide apparaît comme l’entrée d’un trésor. Sur ses parois, les murs du musée se reconfigurent de manière fantaisiste, galopant tout le long de ce lac figé, pareille à une vision céleste, onirique, où il fait bon vivre de s’abandonner. Des forment triangulaires viennent flanquer sa base, nimbée d’une eau recrachée par des geysers de joie. D’autres pyramides, de tailles plus réduites, structurent son encadrement. Vue du ciel, l’œuvre de Ming Pei prend toute sa mesure. Elle fait figure d’aboutissement.Allié au giron du musée, l’édifice apparaît comme un tout uni, cohérent autant que novateur, faisant le lien entre passé et présent, classicisme et modernisme. Quant à savoir s’il appartient à la sorcellerie ou au divin, inutile de poursuivre sur cette voie-là. Car la pyramide du Louvre, métonymie du plus grand musée parisien, est avant tout une construction humaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

" L'art ne transforme pas. Il formule." Roy Lichtenstein

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