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"Napoléon est un tyran ; il ne mérite pas qu’on lui rende hommage". Ainsi Patrick, trente-quatre ans et père de famille, excuse sa mauvaise humeur à se retrouver à l’endroit précis où le petit caporal a déclamé cette phrase devenue légendaire : "Allez, mes amis, soyez tranquilles, le boulet qui me tuera n’est pas encore fondu".

 

Alentours, la plaine de Montereau tremble du pas fiévreux des miliciens. L’herbe est encore verte, l’air, empuanti par les nuages de fumées qui s’élèvent des mottes de pailles embrasées. Celles-ci jalonnent la pelouse comme autant de sentinelles impassibles. Les tambours rugissent ; les mains deviennent fébriles. Des deux extrémités du plateau surgissent une marée de soldats, baïonnette à l’épaule et bannière au vent. La guerre est sur toutes les bouches. Au loin, entourés de l’infanterie légère, les canons français piétinent le sol. La fanfare s’est tue. Une voix venue de nulle part commente l’action. Les spectateurs, proprement alignés derrière des palissades en fer, contemplent, stupéfiés, ce qui restera comme l’une des victoires les plus écrasantes de l’empereur. Nous sommes le 15 février… 2014.

 

Le passé à l'honneur 

 

Située au confluent de la Seine et de l’Yonne, la ville de Montereau-Fault-Yonne est aujourd’hui en pleine effervescence. L’espace d’un week-end, le temps n’a plus d’emprise sur cette commune de Seine-et-Marne, vouée à célébrer le bicentenaire de la victoire des armées napoléoniennes sur la sixième coalition. Disséminées en périphérie du parc des Noues, des tentes d’un blanc immaculé brisent l’uniformité du gazon. Ces épis de toiles abritent un mobilier sommaire et s’ouvrent sur des tables au couvert dressé. L’une d’entre elle est le théâtre d’un attroupement. Sur l’herbe encore humide, les hussards se fendent les côtes de moqueries grivoises, là où les spectateurs, l’objectif dégainé, mitraillent ces fragments du passé. Les fusils sont au repos ; ils jonchent le sol en une pyramide qui fait écho aux bâtiments. L’empereur, lui, ripaille en compagnie de ses généraux.

 

Patrick porte un regard vaguement intéressé en direction de cette table d’honneur, lourde de la senteur du vin chaud et de la soupe aux pois. Du haut de ses huit ans, son fils, Damien, est quant à lui émerveillé ; il se délecte du spectacle. La bouche ramené en un pli soucieux, Napoléon se tourne vers les soldats en faction, plantés derrière lui. La nappe est d’un vert plus mesuré que celui de la plaine où dans moins de deux heures, ses troupes déferleront. Un chandelier agrémente la décoration. Les assiettes sont encore vides. Entre les bavardages des acteurs, les clameurs de la brise et le bruissement des feuilles, l’oreille est charmée, trompée même. Dans le lointain se distinguent les notes d’une partition classique, émises par des enceintes dispersées çà et là dans le parc. Le cœur, en même temps que l’esprit, se laisse aller à cette mélancolie reconstruite. Napoléon et son état-major ont fini de ripailler. A quelques mètres seulement, Damien est impatient d’entendre tonner les premiers coups de canons.  "C’est génial d’être ici, j’ai l’impression d’être dans un livre d’histoire !" confie-t-il, le visage fendu d’un sourire béat.

 

La charge de l'Histoire 

 

Après une brève conférence (auditorium du Conservatoire, Halle Nodet) et un défilé de mode présidé par l’impératrice Joséphine en personne (salle Sémisoroff), le public s’amasse autour du parc des Noues. L’écharpe nouée, ces témoins à retardement de l’Histoire se frictionnent les mains pour tromper la rigueur du froid en attendant la venue du Père la Violette. L’heure tourne. En guise d’ouverture, l’orateur anonyme déploie sa faconde, retraçant succinctement le parcours triomphant de l’empereur. Le temps est pris à rebours. Les fauves sont libérés dans l’arène. Leur gueule, circulaire et allongée, est faite de métal et crache des halos de fumée, précédés de crépitements qui font trembler la foule. Les lignes se font et se défont. Bercé par la litanie des tambours, l’ensemble se mêle dans un capharnaüm de cris et de cliquetis, de vrombissements et de martèlements. L’oreille bourdonne ; les coups de feu défouraillent. Dans l’assistance, une mère explique à sa fille terrorisée qu’il ne s’agit que de "cinéma", que "les balles sont à blanc". C’est justement de cela dont il est question à Montereau : rejouer une tranche de l’Histoire en confrontant le spectateur d’aujourd’hui à l’acteur d’autrefois.

 

La dernière charge est lancée dans "un galop furieux". L’armée française sort victorieuse. Et tandis que les figurants retrouvent les gestes du commun, s’époussetant, riant aux éclats ou trébuchant sur le sol inégal, Patrick, pourtant acide à l’endroit de Napoléon et de ses campagnes, ne peut s’empêcher d’applaudir cette armée aux bottes crottées. "Je suis bluffé ! C’était formidable ! J’en ai des sifflements dans les oreilles ! "avoue-t-il, tout sourire, en prenant son fils par la main.

 

 

 

Montereau, l’ultime bataille1814 / 2014Commémoration du bicentenaire de la bataille de Montereau - 15 et 16 février 2014 – A Montereau Fault-Yonne, Seine et Marne (77130), Ile-de-France.

L'aigle retrouve
ses plumes


 

Thibault Lafargue

Reportage / Histoire

08.03.2014

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