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Sacré
Sel !

Chalut-Natal Estelle
Reportage / Architecture
09.05.014

En voyage à Cracovie, en Pologne, les offices de tourisme affichent tous les mêmes excursions. Se démarquent les camps d’Auschwitz-Birkenau et une mine de sel à quelques kilomètres de la ville. À Wieliczka se trouve une galerie souterraine sur neuf niveaux exploitée depuis le XIII siècle et aujourd’hui inscrite au patrimoine de l’UNESCO. Plus surprenant, au centre de la mine, une immense chapelle éclaire le sous-sol. Visite à 135 mètres de profondeur.

Silence religieux. Seuls quelques cristaux de sel émettent un tic-tac discret mais incessant en s’entrechoquant au rythme du vent. C’est une petite brise fraiche qui fait tanguer doucement les lustres. L’ensemble à des allures de galerie des glaces, propre, froide et hautaine. À un détail près : tout est construit dans le sel. D’immenses luminaires ornés de cristaux surplombent la pièce. L’atmosphère est plus austère qu’à Versailles. À 100 mètres sous terre, la lumière est froide. Ces lustres salés éclairent l’envers du décor, là où le pays enfouit une de ses plus belle richesse : une chapelle. Et la lumière fut… sous la terre.

La Pologne met son grain de sel touristique

Une petite ville à quelques kilomètres de Cracovie, exploite son gisement de sel sur neuf niveaux. Wieliczka est la plus ancienne mine de sel de l’Europe, encore exploitée à ce jour. La seule différence est qu’aujourd’hui les cars de touristes ont remplacé les miniers qui venaient travailler. Exploitée depuis le XIIIᵉ siècle, aujourd’hui ouverte au public et inscrite au Patrimoine de l’UNESCO depuis 1978, on y récolte toujours le sel… Sauf que le tourisme a pris le pas sur la production de la matière première, jadis d’une grande valeur au pays. Arrivés à Wieliczka, après un bon moment d’attente devant l’entrée, qui ressemble à un vieil immeuble, les groupes peuvent enfin suivre leur guide et entrer.

 

Pas très à l’aise avec un casque audio, un boitier autour du coup et une guide qui baragouine un français moyen, il faut alors descendre les 378 marches qui donnent accès à la mine. Ces dernières sont en bois, peu stables et déformées par d’innombrables passages. Une fois arrivés, la visite peut enfin commencer. Mais vite ! Si on diminue la cadence, on est rattrapé par les touristes anglais. Ce sont des dizaines de groupes de touristes qui explorent ces sous-sols. Commence alors une visite de deux heures, sur plusieurs kilomètres où l’on découvre aux détours de sombres chemins, des chambres de sel mais aussi… des chapelles.

Sel gemme

Toute la visite se fait sous terre. Au bout de deux heures, cela peut-être angoissant mais le final ne déçoit pas. Le musée s’étend jusqu’à 135 mètres de profondeur. Étrange pour une exploitation de sel mais celui-ci est particulier, il émane de la terre. Dur comme de la pierre, il est modelable et solide comme elle. Tout au long du chemin souterrain on trouve différentes sculptures de sel, faites par des artistes ou des miniers, qui pour se détendre après une dure journée de travail, façonnaient le matériau.

 

Durant 400 ans, les mineurs n’extrayaient de la mine de Wieliczka que ce sel. Puis, un beau jour, ces ouvriers de père en fils sont devenus des artistes, créant dans les entrailles de la mine profonde de 327 mètres, un monde souterrain fabuleux, entièrement sculpté dans le sel. Les murs et le sol sont recouverts d’un manteau gris et froid. Couleur et matière étonnante d’autant plus qu’on ne peut les voir que sous terre. Les conditions atmosphériques de l’air ne permettent pas au sel gemme de conserver sa texture dure. C’est un cadre privilégié qui semble être arrêté dans le temps. Impression qui ne fait que se confirmer lorsque l’on y découvre ses merveilles.

Une Chapelle sous terre

Un jour, a pris forme chez les mineurs l’idée de sculpter une chapelle où serait célébrée une messe au quotidien. Le travail dans la mine était dangereux, et les ouvriers avaient l’habitude de se rassembler matin et soir afin de prier pour leur sécurité. Ils ont ainsi façonné une chapelle à 100 mètres sous terre pour pratiquer leur culte dignement. Et quelle chapelle ! Les couloirs et les chambres de sel n’ont pas belle allure à côté de la splendeur de l’édifice religieux. Aux détours d’un chemin, tout le groupe reste bouche bée. L’immensité de la chapelle coupe le souffle : longue de 54 mètres, large de 15 à 18 mètres et haute de 12 mètres, elle a été fondée en 1896 dans un endroit formé après l’extraction d’un énorme bloc de sel vert. Naturellement, elle a pris le nom le la reine Kinga, ou Cunégonde en français, qui selon l’histoire aurait découvert le sel gemme en Pologne. Plusieurs statues de sel de la reine décorent les souterrains de la mine. C’est pour remercier la belle de leur avoir offert ce trésor qui fut longtemps d’une grande valeur au pays, que la chapelle a été façonnée. Elle est toute de sel vêtue, des lustres, au carrelage, en passant par les moulures et les statues. Néanmoins, sa splendeur ne date pas de sa construction, la riche décoration a été complétée sur 70 ans, jusqu’en 1963.

Un sel sacré

La Pologne est un pays ancré dans la culture catholique. La vie de ses habitants est rythmée par la religion, de la naissance à la mort. Très fiers de compter parmi leur concitoyen le pape Jean Paul II, une immense statue de sel à son effigie domine la chapelle. L’ancien pape, lui-même, vint visiter la chapelle alors qu’il n’était encore que l’archevêque de Cracovie. Durant son règne, il ne put y retourner mais son sang demeure au cœur de ses origines. Quelques gouttes y sont conservées et exposées dans l’autel comme pour symboliser toute la force et l’énergie de l’homme qui fait la fierté de toute une nation.

 

En s’éloignant de l’autel et en regardant autour, on se rend compte que tout est conçu dans une délicatesse sans fin. Les pavés du sol sont réguliers, les reliefs sur les murs montrent une extrême précision. Ceux-ci représentent de nombreuses scènes bibliques comme la fuite en Égypte, le miracle de Cana, la Cène ou encore, le Christ crucifié. Les personnages semblent sortir du mur, et se mouvoir devant nos yeux. Belle illusion, car si l’on s’approche, on remarque que la profondeur de ces reliefs ne dépasse pas dix centimètres. Les miniers de Wieliczka sont devenus de véritables artistes au fil des siècles. Il n’y avait pas de projet plus porteur et plus ambitieux pour ces hommes qui ne croyaient qu’en Dieu et en leur mine, que de concevoir une chapelle de sel. C’est cette croyance et cette force qui transparait à la vue de la chapelle. On y trouve également une crèche de Noël avec tous ses personnages, eux-aussi soigneusement dessinés dans la pierre salée. Le matériau est omniprésent, parfois étouffant. Il semble recouvrir le bruit des pas et des voix des touristes et former un nuage blanc autour d’eux. Ils sont tout petits, insignifiants face à la grandeur de l’édifice. Seuls quelques courants d’air font circuler les sons. On entend alors quelques brèves discussions, et surtout une douce mélodie : celle des cristaux de sels qui s’entrechoquent lentement.

 

Les trois immenses lustres qui surplombent la chapelle sont minutieusement décorés d’une multitude de ces précieuses pierres. Plus impressionnants que n’importe quelle statue, ce sont eux qui attirent le regard. Avant d’explorer chaque détail de la chapelle, les visiteurs demeurent quelques minutes la tête en l’air. Une faible lumière émane des lustres, et redonne à cette atmosphère austère une certaine douceur. Les chemins sinueux et le travail des miniers semblent bien loin de ce cocon de sel et de lumière.

 

 

Mine de sel de Wieliczka, Pologne

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