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En plein froid hivernal, à l’heure où la France se situe en tête du classement des consommateurs d’antidépresseurs en Europe et comptabilise 3 316 200 demandeurs d’emploi, une exposition se targue de nous prescrire un traitement pour une dose de bonheur. Rendez-vous à la Gaîté Lyrique pour 1h30 de cure intensive.

 

Du Dalaï-lama, à André Comte-Sponville et même plus récemment avec Pharell Williams et son titre " Happy ", le bonheur est un sujet vaste et fréquemment traité. Pourtant, Stefan Sagmeister, designer graphique et typographe, relève le pari avec une exposition à contre-courant : The Happy Show. Ce thème vaste méritait qu'on l'aborde efficacement, en l’adaptant aux maux de notre époque. Pas besoin d'afficher des images de sourires béats, de proverbes chinois ou même de smiley jaune fluo pour amener le visiteur à comprendre comment aborder le bien-être. Dans la scénographie, il n’y a que la présence du jaune et du noir qui symbolisent les couleurs de la banane (elle-même symbole de la joie) qui fait écho à une représentation cliché du bonheur. Ici, on prescrit au bonheur du travail et on l’étudie grâce à des infographies et des vidéos explicatives. La joie de vivre est vue par l'artiste comme un organe, souvent capricieux, qu'il faut soigner. L'image de l'affiche de l'exposition, qui représente un ballon de baudruche en mouvement, est un symbole à elle-seule de l'objectif de cette exposition : montrer que le bonheur connaît des hauts et des bas, mais qu'il faut savoir rebondir sans crever.

 

Un docteur plutôt maboul

 

Stefan Sagmeister, avec sa philosophie de vie, est un remède à lui tout seul. Sa nature décalée déteint sur son travail. Originaire d'Autriche, il travaille à Hong Kong puis il pose ses valises à New York où il ouvre son propre studio. Son travail plaît, car l'homme s'y investit entièrement. Par exemple, pour une affiche réalisée pour l'Organisation des designers professionnels américains (AIGA), il s'est fait graver les informations au cutter sur son propre corps pour exprimer ainsi la douleur que ressent chaque créatif en " accouchant d'un projet ". Cet enfant terrible du graphisme côtoie aussi les enfants terribles du rock’n’roll. Il a notamment créé des jaquettes pour Lou Reed (ce qui lui valut quatre nominations aux Grammy Awards) et les Rolling Stones.

 

Ses idées farfelues ne s’arrêtent pas là, il s'accorde une année sabbatique tous les cinq ans, pour prendre le temps de faire le point et de réaliser des projets. C'est un non-conformiste qui n'a jamais peur de montrer ses travers. Par exemple, il avoue, dans une partie consacrée aux drogues, qu'il a lui-même traversé une phase difficile avec l'alcool. Il déclare en toute simplicité : " les drogues c'est amusant au début mais à la longue ça devient lourd ". Il n'énonce pas des préceptes ou n'invente pas des maximes, mais l'impact est le même. Aussi, il remet lui-même son objectivité en question " J’ai parcouru les études, j’ai pris celles qui me plaisaient et ignoré toutes les autres ". Son investissement est totalement palpable, il en fait la preuve en écrivant les textes tout seul sur les murs, en laissant ses ratures et en avouant dans un coin de mur qu'il en a bavé pour écrire en français. Son show n'est pas extravagant, il est authentique. Il se livre à cœur ouvert, et il y a forcément une phrase qui raisonne en soi même après l'exposition.

 

Un coup de fouet efficace

 

Le mot d'ordre de notre Dalaï Lama des temps modernes est la persévérance. En mettant le doigt sur le problème de bon nombre d'entre nous, la fainéantise de travailler notre contentement, il réussit à toucher cette nouvelle génération qui vit à cent à l'heure sans prendre le temps de profiter. Par exemple, il suggère de tenir un journal intime, c'est pour lui une façon d'apprendre à prendre du recul et à se rendre compte du chemin parcouru. Cela parait étonnement approprié dans ce temple des cultures numériques qu'est la Gaîté lyrique. La démarche qu'il a prise à partir d'une " liste de choses à faire " est celle que tout le monde aimerait avoir le temps de prendre. Cette exposition, véritable répulsif à la morosité, apporte de la vitamine A pour l'esprit mais aussi de la vitamine B pour le corps.

 

L'esprit est soigné au moyen de vidéos, qu’elles soient esthétiques comme " Now is better ", une vidéo en slow motion, ou bien attendrissantes comme les happenings urbains. L’âme s’améliore en apprenant à donner et à recevoir : on offre sa représentation du bonheur sur papier contre un bonbon, il propose de déposer des pièces dans une boite qui redistribue ce don aux autres visiteurs un peu plus loin… C'est une visite ludique qui redonne le sourire et nous pousse à observer ce qui nous entoure pour aller vers les autres, notamment grâce à une carte qui indique une mission à remplir durant l'exposition. La vitamine B, vitamine du bien-être corporel, est distribuée en apprenant à aguerrir notre bonheur et à prendre soin de soi. Le bonheur s’obtient au moyen d’une activité : on sourit, on pédale, on écrit sur les murs… 

 

On y court donc impérativement en cas de petites carences hivernales, quand les résolutions du nouvel an sont déjà passées à la trappe. Cet artiste sait redonner la pêche, et c’est moins cher qu’une boîte de Juvamine.

 

 

 

The Happy Show

La Gaîté-Lyrique : 3 bis, rue Papin, Paris 3e 

Du mardi au dimanche à partir de 14 heures

(le mardi jusqu'à 22 heures, du mercredi au samedi jusqu'à 20 heures et le dimanche jusqu'à 18 heures).

Jusqu'au 9 mars

Tarif : 5€/7€/gratuit

www.gaite-lyrique.net

 

Audrey Sandou

Critique / Graphisme

15.04.2014

Un shoot 
de vitamines
 

 

" L'art ne transforme pas. Il formule." Roy Lichtenstein

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