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Demain
J'arrête de lire 

Estelle Chalut-Natal

Critique / Littérature
21.03.2014

Qui n’a pas vu cette petite tête de chat au bonnet péruvien sur la table de nuit d’une amie ? Qui n’a pas aperçu ce petit livre rose qui dégouline de bonheur chez le libraire du coin ? Demain j’arrête, le roman de Gilles Legardinier est partout. Coup de cœur des libraires et des lecteurs, son auteur a définitivement trouvé la clef du succès. Le point de départ de l'histoire est un anniversaire, où les convives se racontent la chose la plus idiote qu'ils ont faite. La plus idiote pour certains est d’avoir ouvert ce bouquin rose. Miaou.

 

Soit un chat, une moue boudeuse et un bonnet péruvien. Le tout sur un fond rose criard et un titre aux lettres grossières et enfantines. On dit que c’est la couverture qui détermine le choix des lecteurs, si cette dernière plaît, alors seulement ils font l’effort de retourner le livre pour lire son résumé. Demain j’arrête part avec un avantage, personne ne passe à côté sans être scotché par ses couleurs. Le rose et les chats c’est vendeur. La couverture " lolcat " s’inscrit dans le mouvement de ces photos de chats trop mignons qui envahissent la toile : les utilisateurs d’Instagram et de Twitter ne jurent plus que par des clichés de nos amis les félins. Oui c’est mignon, oui on aimerait leur faire plein de bisous, mais oui, c’est aussi un peu niais. 

Passons le choix de la couverture un peu facile (elle a fait le succès de l’édition grand format c’est pourquoi Pocket, grand stratège, a insisté pour la conserver pour la version poche) l’auteur ne ment pas sur la marchandise. À l’instar de la couverture, l’histoire est gaie, extravagante, parfois incongrue, tout comme ce chat qui porte un bonnet.

 

Gilles Legardinier nous raconte les aventures de Julie, raide dingue amoureuse de son nouveau voisin, qui est prête à tout, mais alors tout, pour le séduire. Ni le lieu, ne le temps du récit ne sont indiqués mais l’auteur crée toute une vie de quartier et un univers autour de son héroïne. Cette dernière apparaît comme une fille moderne, impulsive et décidée qui n’a pas peur de faire les pires bêtises pour se faire remarquer. Les lecteurs, surtout les lectrices, en sont ravies. De nombreuses lettres ont été envoyées à Gilles en personne dans lesquelles ses fans le remercient de leur avoir apporté un peu de légèreté et de gaieté. Demain j’arrête est un concentré de bonne humeur et d’ondes positives.

 

Un roman qui surfe sur la vague de bonheur

 

Marre de la morosité ambiante, la mode est au sourire et à la bonne humeur. Les dernière campagnes de pub de marques de luxe affichent des mannequins qui sourient (c’est donc possible) et pour la 3ᵉ année consécutive la bonne humeur est célébrée lors la journée mondiale du bonheur qui a lieu le 20 mars. Pharrell Williams avec son titre Happy, véritable ode à la joie, en est le parrain. Le bonheur et le bien être sont enfin considérés à leur juste valeur : ce sont des aspirations universelles. Gille Legardinier prend donc le bon virage en faisant de son livre un petit hymne au bonheur, rejoignant ainsi la vague de « feel-good ». À l’instar de la comédie dramatique de Davis O. Russel, Happiness Therapy, et d’autres comédies américaines, tout est bien qui finit bien. L'histoire de Julie est un peu l'histoire de toutes les femmes de son âge qui cherchent le grand amour. Pourquoi le journal de Bridget Jones a rencontré un tel succès auprès du public? Pour les mêmes raisons que Demain j'arrête.

 

L’héroïne n’est pas une de ces filles parfaites et figées que l’on voit à la télévision, au contraire, elle a de nombreux défauts qui ne la rendent que plus attachante et qui permettent aux lectrices de s’identifier à elle. C'est sûr que beaucoup des réflexions du personnage relèvent de l'hystérie et de la paranoïa mais justement c'est ce coté décalé et improbable qui provoque le rire. Rire qui s’efface doucement et amèrement au bout des dix premières pages, après quoi ça suffit les idioties, le lecteur n’est pas un imbécile heureux.

Trop de bonheur tue le bonheur

 

Ce livre trône en bonne place chez tous les libraires mais il est parfois difficile de se décider à l'acheter. Toutes ces couvertures criardes qui tentent de rivaliser d'originalité peuvent donner l'impression qu'il y a quelque chose à compenser quant au contenu. Finalement, les clients se laissent convaincre par une offre spéciale ou par l’engouement évident de ses lecteurs. Évidemment, on n'est pas dans de la grande littérature mais dans de l'accessible et de l'universel. Mais tout de même, le lecteur universel n’est pas un idiot. C’est un très beau geste, et l’on remercie Gille de ses intentions, que de vouloir apporter un peu de gaieté dans la vie de ses lecteurs, mais cela doit être fait avec finesse et intelligence. À moins d’avoir en dessous de 10 ans, cette histoire quelque peu tirée par les cheveux tant elle dégouline d’innocence et de mièvrerie, ne conforte pas tous les lecteurs dans l’idée qu’être gentil et heureux c’est possible.

Non, c’est impossible.

 

L’obsession de Julie pour son voisin atteint des sommets que ça en est presque gênant pour le lecteur qui peine à croire à ces situations incongrues. Tout ce bonheur artificiel et ce superbe « happy end », c’est trop. Trop candide, trop niais. Le lecteur à soif de positif, certes, pas de bêtises. Quand l’auteur veut faire une jolie histoire avec une philosophie de vie, il ne pond qu’une simple copie d’une mauvaise comédie américaine. Avec un petit chaton en couverture, il aurait fallu se douter de l’imposture.


Mais ou est passé le chat ?

 

Une fois le livre fini, certains sont déçus, pas forcément plus heureux qu’avant et pas vraiment convaincus du bonheur de Julie, artificiel au possible. Ils reposent le livre sur la table de nuit, le cachent dans la bibliothèque ou courent le rendre à leur gentille copine. Alors elle a vraiment aimé, elle ? Bizarre.

 

En retournant le livre, ils se rappellent surtout du minou en couverture qui les avait tant séduit. Sacré bonnet. C’est vrai qu’il fait écho à un passage du livre où l’héroïne dans sa voiture suit son voisin et se recouvre d’un bonnet péruvien pour ne pas être démasquée. Tiré par les cheveux, encore une fois. Mais le chat ? Tout au long de l’histoire il y a des petites références à un chat, mais ce n’est pas très clair. Ce sont des interventions inutiles qui ont l’air d’être ajoutées au hasard pour donner un sens à la couverture. Mais l’auteur insiste. C’est une histoire avec un chat, mais pas vraiment. C’est une histoire qui donne le sourire, mais pas longtemps. Quant à Gilles Legardinier, il est parti sur sa lancée. Son deuxième roman, Complètement cramé s’est déjà écoulé à 60.000 exemplaires. Le chat est resté, il insiste vraiment, mais une casserole a remplacé le bonnet péruvien. Pourquoi pas. Les chats c’est vendeur, les casseroles aussi. Le troisième, Et soudain tout change, est prévu pour bientôt. Avec un tel succès inexplicable, peu de chances que demain, il arrête… Ah.

 

 

Demain j’arrête, Gilles Legardinier

" L'art ne transforme pas. Il formule." Roy Lichtenstein

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