
C'est un oiseau...C'est un avion...
C'est une catastrophe !
Une pulsation irrégulière, un ruissèlement indéterminé, des gémissements qui tournent aux cris, puis, ouverture au noir ; le point est fait sur un visage de femme en souffrance. Elle est en train d'accoucher. Le cadrage est au plus près du personnage. Les premières notes d’Hans Zimmer, épiques et mélodieuses, finissent de sacraliser cette renaissance. Après un silence douloureux, les pleurs d’un nourrisson inondent la bande son. Le Superman 2.0 vient d’être mis au monde. Pour le meilleur et surtout… pour le pire.
Après avoir magistralement porté à l’écran Watchmen, le roman graphique d’Alan Moore et Dave Gibbons, - réputé pourtant inadaptable - Zack Snyder est tout naturellement choisi par Christopher Nolan pour redorer le " S " d’un Kryptonien devenu trop lisse aux yeux du public. En 2006, la version de Brian Singer avait d’ailleurs été largement critiquée, la faute à un rythme jugé trop lent et à une vision désuète. Après le succès retentissant de la trilogie du Chevalier Noir, la formule du Super-héros a changé : il s’agit maintenant d’obscurcir le personnage, de lui injecter des traumas de façon à le rendre plus humain, et donc, plus proche du spectateur. Ainsi armé, le scénariste David S. Goyer (à qui l’on doit la trilogie susmentionnée) s’attèle à la réécriture d’un des mythes fondateurs du Surhomme. Première étape, premier écueil…
Une structure bancale
Tout au long de sa carrière, Christopher Nolan n’a eu de cesse de manipuler le récit pour le stimuler. C’est pourquoi son Batman Begins introduit la genèse du héros sous formes de Flashbacks dispersés à des points stratégiques de la narration. Avide de s’inspirer de son aîné, Man of Steel s’articule de la même façon. Force est de constater que le résultat est autrement moins réussi.
Le film débute par une introduction de vingt minutes sur Krypton, la planète natale de Superman. Vingt minutes au cours desquelles vont être exposés des personnages, des conflits et un univers voués à disparaître du reste du film. A la suite de quoi, l’histoire s’oriente autour d’un marin à la barbe hirsute, perdu en pleine mer sur un bateau de pêche. La houle, blanchie par l’écume, lèche la coque de l’embarcation. Le marin s’avère être Clark Kent. L’ellipse est ici volontaire et efficace, d’autant que la temporalité, ballotée entre passé et présent, dynamise le récit. Mais les échappées dans l’enfance du héros empiètent rapidement sur l’arc narratif principal, à tel point que le Clark adulte apparaît distant, déconnecté de l’action, empêchant toute identification.
Quant aux flashbacks, leur découpage parasite la fluidité du film. Et c’est là un des grands points faibles de Man of Steel. Là où Batman Begins parvenait à bâtir une structure cohérente en plus d’être éclairante quant à la psychologie du personnage, le film de Snyder s’embourbe dans la facilité, faisant fi de toute subtilité. Tantôt humilié par ses camarades, tantôt frappé par eux, le jeune Clark contient sa rage et le propos stagne. Très vite, il acquiert son costume et expérimente ses capacités. La première scène de vol – sans aucun doute la plus réussie - est épique. Les grands espaces qu’il traverse, allié à la partition homérique de Zimmer, rehausse le personnage au statut d’icône. Superman apparaît enfin dans toute sa gloire. Mais si la séquence est visuellement époustouflante, le spectateur peine à cerner les enjeux du personnage. Il finit même par s’interroger : que va-t-il faire de ses pouvoirs ? Pourquoi aurait-il l’envie d’aider son prochain ? Quelles sont ses motivations ? Toutes ces questions ne trouvent comme réponse que la nécessité de livrer un déluge d’action rarement égalé.
Un scénario ruiné par l’action
Car le scénario prend fin à mi-parcours, lorsque les aliens interviennent. Dès lors, les pistes avancées dans la première partie en restent à un stade embryonnaire. L’intrigue se résume à un combat infini, fastidieux entre Superman et sa Némésis, le général Zod, lesquels ont pour terrain de jeu la planète. À eux seuls, ils deviennent un véritable génocide. Les murs de la ville volent en éclats, les routes se fissurent et les immeubles s’effondrent comme autant de châteaux de cartes. L’ensemble devient confus, brouillon. Pendant près de trois quart d’heures, Superman est brimé, malmené, martyrisé dans un ballet destructeur, une orgie faite de cendres et de flammes. Le spectateur en vient à souhaiter davantage de flashbacks, qui – au regard de ces événements – constituent des moments d’accalmies. Ça gronde, ça mitraille, ça tambourine. Et pourtant, les dégâts ne sont que matériels, à croire que les buildings n’abritent aucune espèce de vie, non plus que les rues, d’où n’émerge nul cadavre.
La dimension humaine est éclipsée en faveur de la démesure. Le film s’apparente à un jeu vidéo dont le point culminant serait le combat final entre les deux protagonistes. Ce dernier en suit d’ailleurs les codes à la lettre, divisé qu’il est en trois sous-parties distinctives, passant de l’affrontement en armure, puis en tenues légères pour terminer par un duel rapproché dans un musée. À la mort du général, le spectateur pardonne à Superman son écart de conduite : au moins a-t-il mis fin à ce déluge. Mais ce qui est intolérable, c’est cette caméra affolée.
Un cadre trop nerveux
En 2004, La Mort dans la Peau, de Paul Greengrass, intronisait le principe de caméra portée dans le film d’action, conférant à l’image une immersion totale. Ce processus est ici décuplé au centuple. Pas un plan, pas une seconde qui ne soit soumis à ces tremblements. Au cours d’une scène prétendument posée, Jonathan Kent, père adoptif de Clark, s’entretient avec son fils des dangers que peuvent représenter ses pouvoirs s’ils venaient à être dévoilés au grand jour. La scène débute par un plan séquence ; la caméra est en retrait, elle observe cette Amérique rurale. L’atmosphère est placide, l’émotion, presque palpable. Mais le cadre est nerveux. Il s’agite en tous sens, et au lieu de conférer un aspect viscéral et organique au film, il ne fait que lui ôter ses rares attraits. En troquant son directeur de la photographie, Larry Fong, contre celui de la célèbre saga Transformers, Snyder donne naissance à un nourrisson qui n’est pas le sien. Car tout ce qui faisait le charme de ses films est absent de Man of Steel.
Connu pour ses ralentis stylisés, son souci presque fétichiste de l’insert et sa réalisation ô combien graphique, le réalisateur de 300, en accédant à un cinéma purement mainstream, s’est affadi. Et ce qui était prophétisé comme l’apogée de sa carrière s’avère être un rendez-vous manqué avec lui-même. Mais qu’en est-il du personnage éponyme ? Est-il seulement à la hauteur du Kryptonien en slip rouge ?
Un Superman omniprésent contre un Clark Kent absent
La réponse est sans appel : oui. Et bien que le film échoue à accéder à la grandeur, l’acteur jersiais Henry Cavill, lui, y parvient. La mâchoire carrée, les cheveux de jais, le regard caverneux, il infléchit ses sourcils et trouve la justesse de ton entre un Superman méfiant, porté sur la retraite, et un personnage plus doux qui ne sombre jamais dans la mièvrerie. Il est cette masse musculaire qui n’en oublie pas pour autant de faire briller ses yeux d’une lueur intelligente. Il émane de cette anatomie parfaite une sorte d’aura qui force le respect, un charisme venu d’ailleurs, affirmé par un costume aux allures de cotte de mailles. Le Superman des temps modernes est arrivé…
Mais le surhomme n’est que la face émergée de l’iceberg. Sous celui-ci se cache un fermier des plus communs. Du moins est-ce le cas dans le comics originel. Ici, le personnage de Clark Kent est presque passé à la trappe. N’en demeure que quelques fœtus de flashback où le rôle est cédé à un jeune acteur qui livre une performance des plus neutres. Les rares fois où le film se recentre sur Henry Cavill barbu ou en tenue du dimanche, un manque à combler se fait sentir. À mesure que le héros erre, le spectateur fait de même ; il finit par se désintéresser. En voulant se placer à contre-courant des films précédents, où le métier journalistique du personnage était largement mis en avant, le scénariste David S. Goyer a pris le parti de se focaliser sur un Clark ermite, sans véritable lien de rattache avec le monde qu’il est censé secourir.
Et lorsqu’au terme du film, la situation renoue avec le topos du mythe Superman, la perplexité s’installe : malgré ses lunettes, ses cheveux gominés, et son air de premier de la classe, ce Clark Kent sonne faux. Avant lui, Christopher Reeve et Brandon Routh avaient ce petit quelque de naturel qui rendait leur interprétation crédible. Henry Cavill, tout Superman qu’il soit, ne possède pas cette nuance. Et quand bien même l’aurait-il eu, il ne s’en serait pas relever. Car le film de Snyder, en cumulant autant d’impairs, a fait le contraire de ce à quoi il était destiné : au lieu de signer le grand retour de l’homme d’acier, il en a signé la mise à mort.
Thibault Lafargue
Critique / Cinéma
09.05.2014



