Un silence assourdissant, un espace vide, épuré. Au loin, un vrombissement de néon se fait entendre. Silence. Une femme nue apparaît, suspendue à l’encadrement d’une porte. Pas une femme, une enfant.

 

Tel un chandelier vivant, la jeune Maddie Ziegler s’articule en accord avec la voix de Sia, venue la délivrer. S’amorce alors un ballet virevoltant, un débauche de mouvements cassés, heurtés, syncopés et pourtant, d’une incroyable fluidité. La voix sensiblement éraillée de Sia habille ce décor morne, sans lendemain, créant comme un gouffre entre le visible et l’audible. L’enfant est condamnée.

 

Prisonnière de quatre murs impassibles, où seules des versions alternées d’elle-même la contemple, elle s’anime, bondit, se rue d’un bord à l’autre du cadre dans une chorégraphie fiévreuse, haletante. La caméra elle-même peine à suivre ses mouvements. Chaque rotation la précipite en marge du cadre. Elle s’échappe, disparaît, puis revient en un tournoiement, bras et jambes arqués à la manière d’une araignée. Elle rampe, court, sautille en tous sens, désireuse de se délivrer, de retrouver la lumière du jour. Dans cet éclairage en demi-teinte, l’effroi est palpable. Ce corps asexué est malmené par la grâce. Il oscille, s’éreinte dans un décor lugubre.

 

La chanson, véritable réservoir émotionnel, gagne en puissance à mesure que la jeune fille s’approprie l’espace. La caméra, elle, se contente d’observer, d’épouser avec retard l’ampleur de cette spontanéité. À coups de plans-séquences, elle trace un chemin, une issue pour cette âme en souffrance. Car " Chandelier ", c’est aussi l’histoire d’un aller et retour, d’un fragment de vie qui soudain perd le contrôle. L’enfant finit par se réfugier derrière des rideaux. Morceau de chair incolore flottant parmi un tissu non moins incolore, la jeune fille sème le doute. Entre objet et automate, le spectateur hésite. Ne reste gravé sur sa rétine que le blanc de ses yeux, et l’impression d’avoir assisté à une sorte d’évasion du corps, ou peut-être bien, de l’esprit seulement.