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L'essence 
du parfum

Thibault Lafargue

Chronique / Parfum
07.04.2014

Aujourd’hui, beaucoup s’accordent à dire que les émanations produites par l’essence, dans une station-service, sont de loin la chose la plus détestable qui soit. Malgré cette hyperbole révélatrice d’un dégoût général, certains –jugés plus insensés que les autres – assument leur amour de l’essence, qu’ils n’hésitent pas à revendiquer haut et fort. Qu’en est-il réellement ? Comment peut-on apprécier une telle pestilence ?

 

Pour mieux comprendre ce phénomène, il faut rappeler une vérité trop souvent oubliée, sinon ignorée : l’essence en tant qu’odeur se veut la négation même de la nature. Il s’agit donc d’une odeur artificielle, fréquemment rattachée à une idée de destruction (l’essence comme substance hautement inflammable). Pierre, 41 ans, renchérit : "L’essence fait peur aux gens, c’est dangereux, alors on ne l’arôme pas." Fabrice, proche de Pierre, contredit ce constat : "C’est quelque chose de si fort, de si plein et entier que ça nous prend complètement ! C’est ça qui est formidable." A la lumière de ces remarques, l’essence acquiert une nouvelle – première ? – qualité : celle d’être intense en ceci qu’elle s’engouffre tout autant dans un réseau de narines qu’une gorge laissée béante, jusqu’à retomber dans les poumons. C’est en cela que l’effet produit devient intéressant. Rien n’est en effet comparable à cette déflagration qui s’immisce et imprègne jusqu’à la doublure d’un vêtement. Cette odeur est ovni. Elle a l’art, par son âpreté et sa dimension mécanique – le cerveau faisant aussitôt le lien entre elle et un squelette de voiture, par exemple – d’interagir avec l‘intériorité de ceux qui la sentent.

 

Le plaisir provient alors moins de la consistance même des éléments qui la composent, que de ce qu’elle est capable de nous faire ressentir. Car l’essence, cette chape lourde et étouffante, n’est pas tant une senteur destinée au nez, mais bien à l’esprit. Qui, en humant les effluves d’une station-service, ne s’est jamais figuré sur une route inconnue, à des milliers de kilomètres, à la poursuite d’un but tout aussi inconnu ? L’essence étant l’élément essentiel au bon fonctionnement d’une voiture, il est plus que logique que l’odeur dégagée par elle, dans sa nature même, contradictoire et grisante, agisse directement sur le cerveau en poussant l’homme à se croire autre que lui. Fabrice conclut, un sourire épinglé aux lèvres : "Il y a quelque chose de subliminal là-dedans. Sentir de l’essence, c’est comme découvrir une facette cachée de soi-même. C’est viscéral !".

FArtiste : Edouard Manet Dates : 1881 – 1882

Technique : Huile sur toile dimensions (LxH) : 93cm x 130cm
Localisation : Institut Courtauld

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