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Les enfants terribles

 

Thibault Lafargue
Chronique / citation
11.03.2014

L'horreur à un visage. Il n'est ni usé, ni ferme, encore moins menaçant. À l'instar d'un trompe-l'oeil, il est simplement doux, replet, innocent.

 

Cela, Hitchcock l'a bien compris. "Ce qui me fait le plus peur ? Les petits enfants" déclare-t-il avec cette petite pointe d'humour caustique qui lui donne son air d'ours mal léché. Pour le maître du suspense, la réponse à cette superlative frôle l'absurde. La peur, ce sentiment terriblement humain, capable de hérisser le poil, aurait à voir avec l'être le plus inoffensif du monde. Comment ne pas s'armer de perplexité ?

 

Très vite, l'évidence se fait jour, balaie les préjugés. Norman Bates (grand méchant du film Psychose) n'est-il pas justement cet enfant qui refuse de grandir, cette victime introvertie, recroquevillée sur elle-même qui ne parle qu'au nom de sa défunte mère ? L'enfant est coupable d'être innocent. Paré de traits juvéniles qui plaisent au regard, il émousse la vigilance et endort les sens. Un couteau est certes contondant ; sa froide lame tinte comme le glas d'une vie qui s'achève, mais un petit enfant, lui, est infiniment pernicieux. Il rampe, ondule, déploie ses yeux de guimauve, son sourire mièvre. Face à de tels arguments, le père cède, la mère s'agenouille et le monde cesse de tourner. Tout au long de cette course incessante à l'autosatisfaction, la gourmandise de l'enfant s'accroît. Son esprit faussement prude se tord. Et là, tout soudain, il aspire à la noirceur, à la bassesse et à l'ignominie. En quête de l'interdit, il passe à l'acte. Et même si les enfants, tout chétifs qu'ils soient, n'assassinent pas tous leur mère, ils font bien pire. Ils assujettissent la pensée, ramènent la société à cette hauteur indécente où une table s'apparente à un building. Il est déjà trop tard.

 

Le cinéaste de Psychose en est bien conscient. D'ailleurs, il s'est toujours interdit à filmer l'horreur à l'état pur. Tuer est certes un acte abject - sa filmographie est bâtie sur cette idée -, mais mettre au monde un nourisson l'est d'autant plus. C'est pourquoi ses films ne contiennent pas de naissance. Ce serait un peu comme filmer la fin du monde. 

" L'art ne transforme pas. Il formule." Roy Lichtenstein

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