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La guerre 

 

des collants 

 

 

 

S’il est bien un fantasme propre aux lecteurs de comics et autres adorateurs d’icônes bariolées, c’est bien celui d’assister un jour à la rencontre du Tisseur et de son pendant nocturne, le Chevalier Noir. Respectivement chef de file de la Maison des idées et de la " Distinguée Concurrence ", ces deux super-héros évoluent dans un cadre pourtant hermétique l’un à l’autre, empêchant tout jumelage scénaristique. Néanmoins, cette dissociation n’est en rien synonyme de sérénité. En tant que produits issus de filiales rivales, le lycéen timoré et le richissime orphelin de Gotham ne cessent de livrer combat. Mais cette lutte intestine, toute acharnée qu’elle soit, demeure invisible : car elle se déroule avant tout en coulisses, à l’abri des regards.

 

Si aujourd’hui, Marvel et D.C* représentent à eux seuls plus de 80% du marché de comics américaine, force est de constater que l’hexagone n’a pas échappé à cette déferlante populaire. Pour cause, en 2013, le milieu de la bande dessinée accuse une perte de 7% (essentiellement supportée par la B.D Franco-belge), là où le comics riposte avec une croissance de 11%, selon les résultats publiés par l’ACBD**. Autrement dit, le super-héros fascine un lectorat de plus en plus large. Néanmoins, sous cette couche lisse et prétendument homogène se tapit une vérité commerciale des plus tortueuses : depuis sa création à l’aune des années 60, Marvel conserve la primauté sur son aîné. A l’ère Nolanienne, où les aventures cinématographiques du justicier de Gotham ont bouleversé la vision standard d’"un héros en collant ", comment expliquer la soumission éditoriale de DC ?

 

Le règne de D.C

" Superman a été conçu pour être l’idéal romantique d’Hollywood. C’est le tout premier super-héros ! ", confie Jerry Siegel, co-créateur de l’Homme d’Acier, au magazine Nemo (1983). Crée quelques cinquante ans plus tôt dans la revue Action Comics (sous-filiale de DC), le Kryptonien a le champ libre pour exercer ses pleins pouvoirs, n’ayant à rougir d’aucun rival. Un an plus tard, Bob Kane, dessinateur estampillé de la même étiquette, met au monde un détective connu sous le nom de Batman. Le marché américain, largement envahi par une vague super-héroïque à laquelle se joignent les non moins illustres Flash (1940), Green Lantern (1940) ou encore Wonder Woman (1941), atteint des paliers de ventes records. En octobre 1960, DC renouvelle ses titres en proposant une histoire originale, unissant l’ensemble des héros en un groupe devenu légendaire : La ligue des Justiciers. Le premier numéro s’épuise en seulement quelques jours. En réponse à la suprématie de DC, Atlas, une jeune maison d’édition, abandonne le genre horrifique qu’elle affectionne tant au profit d’une ligne éditoriale autrement plus avantageuse : les super-héros. Martin Goodman, patron de la firme, intime à son neveu Stan Lee de répliquer. L’intrusion de Marvel Quatre Fantastiques voient le jour le 8 août 1961. Le succès est immédiat. Stan Lee, alors responsable éditorial d’Atlas, s’exprime sur cet engouement en passe de rivaliser avec DC : " La ligue met en scène des surhommes. Il est difficile de s’identifier à eux. Ce que nous voulions, avec Jack (Kirby), c’était créer des personnages proches des lecteurs ". Mettant l’accent sur la vulnérabilité de leurs nouvelles égéries, ils gonflent leurs rangs avec la création successive de Hulk, Thor, Spiderman et Iron Man (1962/1963). En hommage à l’un de ses magazines pionniers, Atlas est rebaptisé Marvel, et reproduit cette même année le schéma intronisé par DC, à savoir la création d’un univers capable de contenir l’ensemble des héros. Ainsi naissent les Vengeurs. Pour la première fois depuis sa création, le hangar à surhommes est évincé, les jeunes lecteurs – principales cibles des éditeurs – s’identifiant davantage à un lycéen à lunettes qu’à un alien invulnérable. DC, à trop vouloir ramifier son univers, perd en clarté ce qu’il gagne en profondeur. Dès les années 50, cette équation participe d’un isolement qui désintéresse les néophytes et remet en question la stabilité de la maison.

 

DC vs Marvel

Erik, employé au magasin Album Comics***, revient sur les problèmes rencontrés par le fondateur de la Ligue des Justiciers : " D.C part du principe qu’il existe une multitude d’univers parallèles, sur lesquels différentes versions des personnages vivent. ". Au fil des décennies, la chose ne fait que se complexifier, creusant l’écart entre les deux grandes écuries. " Marvel a tout compris, poursuit Erik, chez eux, l’intrigue est linéaire et ancrée dans l’actualité. " D.C souffrirait donc de désuétude en axant ses thématiques autour de figures symboliques, là où Lee opterait pour une approche dite " moderne ". Ce constat se répercute en Europe, notamment en France, où les publications DC s’avèrent calamiteuses. Dès 2005, Panini, déjà actionnaire de Marvel, rachète les droits de la concurrence, devenant ainsi le leader du marché. Mais les erreurs de parcours de D.C font une nouvelle fois défaut : en janvier 2012, Panini est contraint d’en céder les droits à la maison d’édition Dargaud. Au vu d’un tel déclin, une question demeure : d’où vient la demande de DC si les fans eux-mêmes s’en désintéressent ?

 

Le 7ème art à la rescousse

S’il est une date à retenir dans le calendrier DC, c’est bien le 13 septembre 1989, sortie officielle du film Batman, de Tim Burton, lequel engrange plus de 100 millions de dollars de recettes en seulement dix jours. Le phénomène est à la hauteur de la légende du Chevalier Noir. Après le succès retentissant du Superman de Richard Donner (1978), Hollywood réconcilie derechef la planète avec les super-héros. " Sans le cinéma, DC aurait fermé boutique ", commente Erik. Et pour cause, le triomphe du film ouvre la voie aux adaptations de Comics, offrant un nouveau terrain de jeu à la lutte éternelle entre les deux écuries. Que DC se rassure, la victoire de Marvel n’a rien de définitif. Car à l’évidence, l’avenir de la bande dessinée se joue maintenant sur grand-écran.

Thibault Lafargue

Enquête / Bande-dessinée

02.05.2014

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